Depuis très longtemps, l’être humain est considéré comme responsable de ses actes, même s’ils sont involontaires. Un évènement indésirable ayant pour cause un comportement humain sera systématiquement justifié par la culpabilité de la personne en question. Mais qu’en est-il de la réelle intention en regard à la reconnaissance des faits?
[Extrait de l’article de Marie Laberge paru dans Travail et santé, décembre 2018, vol.34 No 2]
Que cherche-t-on réellement lors d’une enquête, qu’elle concerne un accident de travail, une erreur de médication, un écrasement d’avion, un désastre environnemental ou tout autre évènement indésirable ? Quel est le but d’un tel exercice ? La réponse est unanime. Prévenir la récidive ou du moins, en réduire les conséquences si l’évènement avait à se reproduire. Ainsi, par la compréhension de chaque déterminant, il est alors possible d’identifier les coupables et par conséquent, d’agir sur eux ; les coupables pouvant être de l’ordre des méthodes de travail, de l’environnement, des moyens à disposition, organisationnels, administratifs, humains, etc. Le problème avec la méthode d’identification du coupable, c’est qu’elle ne convient pas à l’enjeu humain, contrairement aux autres enjeux. Le fait de réprimer une personne responsable d’un acte a comme effet collatéral de décourager le signalement en raison de la peur d’être puni. Non seulement chez la personne en cause, mais chez tous les membres d’une même organisation, d’une même communauté. Et une organisation ou une communauté qui n’est pas en mesure de recevoir les signalements dès l’étape de la situation de danger et du passé proche, se prive substantiellement d’informations précieuses. Ces informations lui permettant, dans un autre contexte, de reconnaitre le risque et d’agir en prévention de la récidive et des conséquences de l’évènement indésirable.
Culture punitive
Mais d’où vient cette culture punitive ? Pour les organisations, comme pour les communautés, le contexte dans lequel elles évoluent est encadré par des lois et des codes qui prescrivent d’agir de façon diligente, notamment, en regard au devoir d’autorité. Toutefois, il est pertinent de rappeler ici que la diligence réfère à la négligence et que malheureusement, plusieurs organisations confondent et punissent tous les comportements à risque. La notion de punition se définissant de la simple réprimande verbale à la suspension. Dans un tel contexte, l’approche punitive peut avoir des conséquences importantes sur la culture organisationnelle et de prévention puisqu’elle décourage le signalement. En effet, même s’il ne s’agit que d’une simple réprimande verbale, cette façon de faire suscite des sentiments négatifs chez la personne coupable la décourageant à signaler d’autres évènements subséquents. Un tel choix organisationnel ne doit pas être pris à la légère. En effet, pour diminuer l’incidence de la fréquence et de la gravité des évènements indésirables, il est essentiel d’agir à la base de l’iceberg des évènements. Mais pour ce faire, il faut savoir créer les opportunités de signalement des situations à risque. Une fois connues, il suffira de se mobiliser de façon à ne pas reproduire les conditions ayant ou pouvant provoquer ces évènements et leurs conséquences. Deux conditions gagnantes sont essentielles à la création de ce contexte favorable :
1. la reconnaissance du risque ;
2. le droit à l’erreur.
Le problème avec une culture punitive, c’est qu’elle inhibe tout simplement ces deux conditions, ce qui constitue à toutes fins pratiques à se tirer dans le pied!
Droit à l’erreur
Une organisation qui encourage le signalement des erreurs qui surviennent en cours de processus s’accorde donc le privilège de capturer dès leur apparition, les conditions favorables aux évènements indésirables, quels qu’ils soient. À contrario, l’organisation qui considère une erreur humaine répressible du fait qu’il en résulte une conséquence se prive d’informations précieuses à la prévention de la récidive et à la réduction des conséquences. À l’étape de cette prise de conscience, il est raisonnable de croire que l’organisation qui reconnait ce bénéfice fera la promotion de la distinction qu’elle fait entre le geste purement négligent et l’erreur. Le geste négligent pouvant être défini comme étant une violation délibérée des attentes. Une erreur étant involontaire, voire même une violation involontaire. Cette distinction est à la base d’une politique du droit à l’erreur et de sa contribution sur la performance organisationnelle, tout en s’assurant d’en fixer les limites bien entendu. Il faut admettre que le sujet est toutefois sensible et percute certains paradigmes. Mais il n’en demeure pas moins que cette stratégie, nommée culture juste et traduite de l’anglais Just Culture (1) a fait ses preuves à travers le monde, notamment, dans les secteurs du transport aérien, du nucléaire et des soins de santé. Nul besoin de mentionner qu’il s’agit là de secteurs parmi les plus à risque, sinon les plus à risque en termes d’indice de risque inhérent et dans le fait, plutôt faible en termes de risque résiduel. Force est d’admettre que cette performance n’est pas le fruit du hasard, mais bien celui d’une culture juste.
Organiser le contexte
Depuis longtemps, l’humain cherche à créer l’ordre et la cohésion dans sa communauté. Et pour ce faire, il a identifié plusieurs mécanismes, dont celui d’établir des règles et des standards et d’instaurer des organes de surveillance des attentes. Ainsi, à la lumière des attentes définies et énoncées, la communauté comprend ce qu’elle doit mettre en oeuvre pour y répondre et comprend que si elle n’agit pas en ce sens, il y aura des conséquences. Mais malgré cela et pour toutes sortes de raisons trop longues à énoncer ici, des failles se produisent dans la chaine de fiabilité, et les règles établies ne sont pas toujours respectées, augmentant
ainsi les probabilités de perturber l’ordre et la cohésion et de créer des évènements indésirables. C’est ici qu’il est intéressant de se pencher sur l’efficience des mesures mises en place pour assurer le bon ordre et cette cohésion. Plus spécifiquement, il sera question de l’erreur humaine puisqu’il s’agit du maillon le plus faible de la chaine de fiabilité, donc le plus susceptible d’engendrer des erreurs, conditions essentielles à la survenue d’un évènement indésirable avec ou sans conséquences. Au cours de ma carrière, j’ai eu le plaisir de collaborer avec plusieurs centaines d’organisations qui, après avoir implanté des mesures de contrôle d’ingénierie, administratives et autres, misent sur les personnes pour appliquer ce qui a été mis en place, enseigné, etc. Plusieurs s’entendent pour dire que le développement d’une culture de prévention forte est une cible possible, mais difficile en raison de l’erreur humaine. En effet, chercher à contrôler l’ensemble des comportements des membres d’une organisation ou d’une communauté peut devenir un objectif très exigeant, voire même quelquepeu utopique. Les choses étant imparfaites et volatiles, les ressources nécessaires pour faire respecter l’ordre et la cohésion peuvent devenir exponentielles. C’est pour cette raison qu’il devient intéressant d’aborder cet enjeu selon l’angle des « coups de pouce » (2), approche dont je vous ai déjà parlé dans un article précédent (3) et dont ma conférence (4) à ce sujet fait un tabac partout où elle passe. Il s’agit ici de l’art d’organiser le contexte dans lequel les personnes prennent leurs décisions. Cette approche assume complètement la reconnaissance du risque et l’acceptation de l’erreur. Le contexte devient alors complètement favorable à l’émergence de solutions qui tiennent compte des limites de la fiabilité humaine. Si les limites sont connues, elles peuvent alors être contournées et faire en sorte que le contexte dans lequel les personnes évoluent soit conséquemment organisé pour encourager la bonne décision, réduisant ainsi l’erreur ou du moins, sa conséquence. L’idée ici est d’abaisser la pression exercéesur la personne en orientant
la meilleure décision.
Conclusion
Une tendance s’inscrit dans le monde du travail et ailleurs, et c’est tant mieux. On commence à comprendre les effets pervers d’une politique en termes de mesures disciplinaires et de répression. La croyance à l’effet que la répression à l’égard d’une personne qui fait une erreur conduit à la réduction de la répétition de l’erreur comme telle tend à disparaitre. Admettez qu’il est de l’ordre de la pensée magique quelque peu. De plus en plus, les organisations et les communautés que j’accompagne orientent leur stratégie de développement de culture organisationnelle et de prévention selon l’approche positive et de transparence, optant pour des
énoncés tels que politique de civilité plutôt que disciplinaire, ou politique de signalement d’évènements indésirables plutôt que déclaration d’accident. Accepter l’erreur, c’est s’accorder le droit d’accéder à une mine d’information susceptible d’identifier les meilleures solutions qui soient à la réduction des évènements indésirables et de leurs conséquences. C’est optimiser le lien de confiance au sein des membres de l’organisation, de la communauté. C’est alléger les méthodes de gestion et de surveillance des attentes. En conclusion, c’est se donner accès à plus de résultats à moindre effort. Que peut-on espérer de plus ?
Voyez comment de plus en plus d’organisations optent pour une culture d’efficacité et de mieux-être grâce à notre toute nouvelle et déjà très populaire conférence, L’erreur humaine: source inépuisable de solutions !
(1) Dekker S. Just Culture : Balancing Safety and Accountability. Ashgate Publishing Lted, 2017.
(2) Thaler R.H., Sustein C. R. Nudge : improving decisions about health, wealth, and happiness, Penguin Books, 2008.
(3) Laberge, M. (2016) La force de persuasion SSE. Travail et santé, volume 32, no 4, pages 38-39
(4) Laberge, M. (2017) Choisir d’adhérer à la Culture de prévention, Conférence